Feuilleton des Mamans

Le feuilleton des mamans


Si vous vous reconnaissez un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout (tant pis) dans ces portraits, c’est peut-être que nous, les mamans, au-delà de nos différences, nous partageons toutes un  petit quelque chose…

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou
ayant existé ne peut être que fortuite

Le feuilleton des mamans 24
Nadine 8/ : Voyages, retrouvailles & détermination

Nadine est tellement contente d’avoir revu plusieurs de ces familles avec lesquelles elle avait tissé des liens si étroits. Elles sont parties, loin de la France et des lois qu’elles ne voulaient pas supporter. Elles ont fait leurs valises, vendu leur chez-elle, rendu les clés, tiré un trait sur un projet de vie porté depuis des années. Elles ont tout recommencé à zéro. Ailleurs. Quel courage !

Mais depuis qu’elle est de retour, Nadine reste songeuse. Que faire maintenant ? L’intermède touristique fut plus qu’agréable. Disposer de points de chute ici et là, passer des heures à discuter, à refaire le monde. Retrouver le complicité qui nous unit, savourer la joie d’être de nouveau ensemble, quel plaisir, mais ensuite ?

Car pendant ce temps, des écoles ferment, ou sont sur la sellette. Des familles, qui veulent continuer à s’instruire hors école, reçoivent des refus. Des abus sont signalés, ici et là. Nadine en est convaincue, il faut agir, frapper fort, faire cesser cette infamie. L’honneur des familles est en jeu. Rien de moins. Etre traités de séparatistes, radicalisés, terroristes, embrigadés sectaires, délinquants, cela suffit. Une bonne fois pour toutes.

Des idées lumineuses ont émergées des multiples conversations qu’elles a eues avec ses amis. Il ne reste plus qu’à mettre les plans en action. Première initiative : contribuer au bien-être des enfants. Qui prend la mesure de leur souffrance et de leur désarroi lorsque leur école est fermée ? Pour certains, encore bien jeunes pourtant, c’est déjà la deuxième horrible expérience de ce type qu’ils vivent. Nadine a décidé, avec d’autres, de porter leur parole. Que ceux qui causent de telles douleurs en prennent conscience désormais. Cela a assez duré !

Photo Lamar Belina via Pexels

 

 

Le feuilleton des mamans 23
Bérangère 8 : Le 8 mars en crêpe noir

Bérangère s’enivre dans ses tableaux Excel ! Le bonheur absolu ! Finalement, après des discussions pas toujours tendres, Chéri et les enfants ont déménagé à Trifouilly-les-Herbes et les Cailloux. Bérangère a réalisé l’incommensurable effort de paraître trèèèèès intéressée et trèèèèès concernée par la recherche d’une maison pourvue d’un jardin plein de mauvaises herbes. Elle a cauchemardé, des nuits durant, se voyant ensevelie sous des couches d’enduit, d’abord le gobetis, pour juste commencer à l’étouffer, puis le corps d’enduit, pour réduire ses mouvements à néant, puis la couche de finition pour la transformer en gisante éternelle. Elle se réveillait en sueur, et depuis, a pris le sable, la chaux et le chanvre en horreur.

Tout va bien désormais. Elle a négocié quelques week-ends, pour « s’habituer à son nouveau poste et à la quantité de travail qu’il requiert ». Elle téléphone le vendredi soir, les enfants lui racontent avec entrain leur nouvelle vie à la campagne. Ils ont l’air très heureux, ne semblent pas s’ennuyer d’elle. Chéri lui assure que tout se déroule pour le mieux. Il réfléchit toujours à son idée de commencer un CAP de pâtissier, mais maintenant qu’il découvre les joies de la rénovation, il se verrait bien maçon, charpentier, plombier… Bérangère en a des haut-le-coeur. Etre titulaire d’un MBA pour finir par manier la truelle !

Depuis ce matin, ses collègues lui semblent différentes de d’habitude. Elle remarque des petits groupes chuchotant ici et là. Qui se taisent, recommencent à papoter, jettent des regards soupçonneux de part et d’autre. Des jalousies du fait de sa promotion ?
Lorsqu’elle arrive à la machine à café, l’une d’elles l’interpelle et commence à la haranguer. Tu es avec nous ou contre nous ? Tu portes un crêpe noir à ton bras demain, pour le 8 mars ? Bérangère manque de lâcher sa tasse de café, sans rien comprendre à ce discours. La collègue, remontée comme un coucou, continue. Pour toi, la promotion des femmes passe bien par l’égalité salariale ?  La gorgée de café se coince dans sa gorge. Alors qu’elle cherche désespérément quoi répondre, une autre collègue arrive, manifestement d’un autre bord féministe.  Le salaire maternel, t’es pour ou t’es contre ? Parce que jouer les mecs juste pour perpétrer l’oppression sur d’autres, est-ce vraiment de la libération ? La première collègue allait revenir à la charge lorsqu’une troisième s’est approchée, tenant dans ses mains une petite corbeille d’osier remplie de rubans en crêpe noir. Mesdames, quelles que soient vos convictions, sommes-nous bien toutes d’accord, les flonflons hypocrites du 8 mars ne mènent qu’au 9 mars ? 
Comme ses collègues, Bérangère a pris un morceau de tissu en crêpe noir dans la corbeille. Elle l’attachera aussi à son bras, tel un brassard, demain 8 mars. En sirotant son café, enfin au calme, car les activistes sont parties galvaniser d’autres personnes, Bérangère éprouve une soudaine bouffée de nostalgie. Sa petite vie, bien rangée, sans qu’elle se pose la moindre question, semble avoir disparu. Maintenant, il lui faut sans cesse prendre position, sur un sujet ou un autre, faire des choix. Que cela est épuisant !

Photo Michael Burrows via Pexels

Le feuilleton des mamans 22
Mireille 8 : Révolutionnaire ? Indocile ? Pragmatique ?

Alors, es-tu vraiment décidée à lancer ce projet ?
Absolument ! J’y réfléchis depuis des semaines. La situation devient de plus en plus intenable. Tant pour les familles, qu’elles soient en IEF ou qu’elles scolarisent leurs enfants dans des écoles alternatives. Enfin, lorsqu’il en existe ou qu’il en reste ! C’est intenable aussi pour les équipes de ces écoles, et pour nous, à l’inspection académique. Tout le monde se regarde en chien de faïence, personne ne comprend ce que fait l’autre. Cela suffit. Au milieu de ces querelles de clocher, des enfants souffrent parce que des adultes, censés représenter le monde de l’éducation, ont un égo démesuré.
Comme tu me l’avais demandé, j’en ai parlé à mon équipe.
Et alors ? La réaction ?
Eh bien, disons que je ne sais pas si je suis passé pour un traître, un doux dingue ou un dangereux à dégager, mais à quelques exceptions près, je n’ai pas vraiment remarqué de signe de compréhension ni d’adhésion inconditionnelle sur les visages …
Ah, alors, même dans une école démocratique, les gens sont coincés !
Tu sais, il ne faut pas trop attendre des facilitateurs, ni des parents d’élèves, même dans ce genre d’endroit. Chacun y vient avec son passé, scolaire ou pas, lourd ou léger. Nul n’y est plus parfait qu’ailleurs. Et à l’inspection ? En as-tu déjà parlé ? Comment réagissent-ils ? Le DASEN ?
En fait, je leur en parle demain. Je voulais avoir une dernière conversation avec toi à ce propos. Tu n’envisages toujours pas de revenir, de reprendre ton poste de conseiller pédagogique ? Mireille tente encore une fois, au cas où son ancien collègue éprouverait l’envie de revenir travailler avec elle à l’inspection académique. Mais il lui sourit et fait non de la tête. Tant pis, elle aura au moins essayé. Je m’attends à ce qu’ils s’étouffent à moitié, j’imagine déjà le regard noir de la Sadique, le sourire amusé de Monsieur N’est-ce pas. Quant au DASEN, au mieux, il fera une jaunisse, au pire, nous devrons appeler le SAMU, ils sauront gérer, ce sont des professionnels.
Tiens regarde, j’ai même imaginé une affiche pour annoncer la réunion de travail, en toute bienveillance, réunissant des personnels de l’inspection académique, d’écoles alternatives hors contrat et des familles IEF pour un échange de pratiques et une discussion sans tabou sur le déroulement des contrôles de l’instruction. Tu vois, tout est prêt. Je vais envoyer les invitations demain. A tous ces participants ! Viendra qui voudra. Mais inutile que les absents se plaignent ensuite.
– P
enses-tu vraiment que les familles viendront à l’inspection ?
Mais non je ne vais pas leur demander cela. Regarde mieux, ne connais-tu pas cette adresse ?
Ah, ah, mais c’est l’adresse de mon école !
Bien sûr ! Qui peut davantage inspirer confiance qu’un ancien conseiller pédagogique, qui a exercé pendant 15 ans au sein de l’Education nationale, que nombre de familles IEF connaissent bien, qui a plein d’anciens collègues à l’inspection académique et qui est maintenant connu comme le loup blanc dans le milieu des écoles alternatives pour avoir fondé une école démocratique ?

Copyright photo  Min An via Pexels

 

Le feuilleton des mamans 21
Nadine 7 : Lectures inspirantes

Nadine attend impatiemment le printemps. Cet hiver glacial et pluvieux, aussi pluvieux que la canipluie de l’été dernier, a suffisamment duré. Place au soleil, au chant des oiseaux, à l’éclosion des fleurs et aux retrouvailles avec le jardin.
Elle s’imagine déjà, allongée dans le hamac, sous les frondaisons des arbres, dévorant avidement une pile de livres passionnants. En fait, la vie de Nadine a tellement changé depuis ces mois en instruction hors école. Et pas uniquement sa vie, mais celle de toute la famille. Ils ont rencontré tellement de nouvelles personnes, fait tant de choses, découvert et réfléchi sur tant de sujets !

Avant, c’est bien simple, les enfants étaient enfermés toute la journée dans une salle de classe, avec d’autres enfants, du même âge, à un ou deux ans près, du même quartier et de la même origine socio-culturelle. Les parents, quant à eux, avaient l’oeil rivé en permanence sur l’heure, métro-boulot-dodo. La sonnerie du réveil dès le matin, rythmait le tempo de la journée familiale. Il fallait en permanence se dépêcher. Se dépêcher de s’habiller, se dépêcher d’avaler son petit déjeuner, se dépêcher d’aller à l’école ou au travail, se dépêcher de finir ses exercices, se dépêcher de déjeuner, se dépêcher de boucler ce dossier, se dépêcher d’attraper ce train puis ce bus, se dépêcher de faire ses devoirs, se dépêcher de préparer le dîner, se dépêcher de dîner, se dépêcher de se doucher, se dépêcher de s’endormir pour se dépêcher de se réveiller le lendemain.
Nadine se demande encore comment elle a pu s’oublier ainsi, se fondre dans cette routine délétère, qui, telle une sangsue, l’a pompée à son insu. Heureusement, elle a réagi. Et plus rien aujourd’hui, ne la fera retourner dans cet infernal engrenage. Elle s’en est fait le serment.

Elle regarde tantôt le ciel, tantôt sa pile de livres. La savoure à l’avance. Elle ne va quand même pas attendre le printemps, ni même l’été, pour s’y plonger. Elle attrape le premier ouvrage, sur le dessus de la pile. Le tome 2 des œuvres complètes d’Ivan Illich. Ah ! Après Une société sans école, voilà Le chômage créateur, Le travail fantôme… Nadine aura de quoi nourrir sa réflexion !

Copyright photo Pavithra Selvam via Pexels

Le feuilleton des mamans 20
Mireille 7 : Le foutoir…

Mireille jette un œil distrait sur les gros titres des journaux. Elle a renoncé à leur lecture depuis longtemps. Ne se sentant pas véritablement informée par ce qui y est écrit. L’indépendance des medias, qu’ils soit écrits ou audio-visuels, voilà un sujet de réflexion qui l’inspire… Mais qu’elle se garde bien d’aborder avec les embrigadés du système. Aujourd’hui, c’est un magazine sur le jardinage qu’elle souhaite acheter. Madame l’Inspectrice a besoin de se d-é-t-e-n-d-r-e !!!

La Sadique aligne les contrôles insuffisants comme un dictateur aligne les condamnés devant le peloton d’exécution. Au bureau, certains rasent les murs, d’autres toussent, peu flamboient. Commenceraient-ils à comprendre ? Que quelque chose ne tourne pas rond… Chaque jour, le facteur apporte des courriers envoyés en recommandé avec accusé de réception. Les lettres rédigées par des avocats se font de plus en plus nombreuses aussi, tout autant que d’autres courriers postés depuis des destinations lointaines. Mireille essaie de les récupérer, enfin, les enveloppes, pour la collection de timbres de son frère. Les familles y annoncent avoir quitté la France, ne plus être soumises à ses lois qui ne reconnaissent pas la dignité de leurs enfants, ni leurs besoins.

Hier, Mireille a inspecté un enseignant. Tout fraîchement nommé. Il faisait un cours de français à des collégiens. Le pauvre ! Elle se demande encore si tous les enfants étaient réellement alphabétisés. Quant à leur expression orale…
Elle a remarqué des élèves, à l’écart, s’est discrètement renseigné. Tous neuroatypiques. Elle déteste cette expression.
Elle en voit tant, des soi-disant neuroatypiques qu’elle ne sait plus vraiment qui sont les atypiques. Lorsqu’elle a discuté avec le jeune enseignant, elle a compris que les conseils qu’elle dispense habituellement avec tant de chaleur et d’empathie, qu’elle a dû confirmer bien des vocations hésitantes, eh bien, que cette fois-ci, c’était peine perdue. Elle s’attend à ce que le poste soit vacant sous peu. Comme d’autres, il va démissionner, épuisé d’avoir été envoyé au casse-pipe. Les élèves vont tourner en rond, perdre leur temps, les parents vont s’énerver, le chef d’établissement, se démener ou laisser couler. Et pendant ce temps-là, des familles seront obligées de scolariser leurs enfants dans des classes surchargées, sans professeur.

Demain, elle va inspecter un lycée expérimental. Il en existe si peu. Elle s’est documentée, est impatiente. Elle a prévenu son ancien collègue. Elle lui racontera sa visite, et lui, le quotidien de l’école démocratique qu’il a co-fondée.

Pourvu que ces établissements ne ferment pas, ne ferment jamais, mais qu’il s’en ouvre, encore et encore. Elle se surprend à presque implorer elle ne sait qui.

Copyright photo  Bernadette Nozarian

Le feuilleton des mamans 19
Bérangère 7 : Recherche Bérangèrophile de toute urgence

Décidément, la vie de Bérangère est parsemée d’embûches. Après sa promotion professionnelle, de bien mesquines jalousies sont apparues chez certains de ses collègues. A la maison, Chéri continue ses manœuvres insidieuses, elle en est certaine, pour aller s’enterrer à Trifouilly-les-Herbes et les Cailloux. Alors après tant d’horreurs, peut-il lui arriver autre chose, encore ? De pire ?

– Maman, tu sais ce qu’on a appris à l’école aujourd’hui ? Que phile, ça veut dire ami, qui aime bien ! Alors, si tu es francophile, c’est que tu aimes bien la France. Et si tu es anglophile, alors tu aimes bien l’Angleterre. Et toi, Maman, tu es phile quoi ? Papa phile ? Hein, que tu aimes Papa ? Et nous phile, tu nous aimes, ma petite sœur et moi ? Hein Maman ?
Bérangère s’enfonce un peu plus profondément dans le moelleux fauteuil. Bien sûr qu’elle les aime, son mari, ses enfants. Mais…, enfin, en est-elle encore si sûre ? Vite, elle chasse cette pensée si incorrecte de son esprit. Comment pourrait-il en être autrement. Avoir mal à la tête, en avoir assez de tout et éprouver juste l’envie d’être seule, de n’avoir personne à qui répondre, à qui préparer à manger, à qui demander de faire son lit et ranger sa chambre, de ramasser ses chaussettes sales en boule sous le canapé, à avoir juste envie de tout et de rien, est-ce grave ? Est-ce ne plus aimer ni Chéri ni les enfants ?

– Maman, tu m’écoutes ? Tu ne m’as pas répondu. Alors, tu aimes qui ? Personne ? Que toi ? Et la maîtresse nous a aussi appris un autre bout de mot, un… ah, j’ai oublié, mais celui-là, il faut le mettre au début, c’est ped et ça veut dire enfant, comme pédiatre, c’est le docteur des enfants. Maman, tu m’emmenais chez le pédiatre quand j’étais petit ?
Quand il était petit. Ah, quand il dormait 22 heures sur 24 et ne parlait pas encore, ne courait pas partout, ne sortait pas tout sans rien ranger. Ah, quand il était petit…

Maman, tu ne me réponds toujours pas ! Et, écoute ce que j’ai trouvé, si je mets les deux bouts de mots ensemble, ça fait pédophile ! Un pédophile, dis Maman, c’est quelqu’un qui aime les enfants alors ? Et bien tu sais quoi, comme tu ne m’écoutes pas, que tu ne me réponds pas et que tu ne veux jamais m’acheter de sucettes, je vais chercher un pédophile, na ! Je suis sûr que lui au moins, il m’offrira des sucettes !

Photo via Pexels, Anna Shvets 

Le feuilleton des mamans 18
Nadine  6 : La vie continue

Nadine, sa famille et leurs amis ont passé un été for – mi – dable ! Sans planer sur un petit nuage rose, mais tout simplement en restant eux-mêmes, sans s’occuper de la valse des directives diverses et variées, qui pleuvent comme des gouttes de pluie. D’ailleurs, la pluie, ils l’ont appréciée. En cet été caniculaire et sec, elle était presque quotidiennement présente, avec la fraîcheur comme accompagnatrice, et les pulls, bienvenus, pour les honorer. Le jardin est vert, vert comme jamais. Ils n’ont guère eu besoin d’arroser, telles sont les joies improbables de la canipluie.

La rentrée est arrivée, et même déjà passée, en ce 7 septembre ! Incroyable, ils ne s’en étaient pas rendus compte. Ils ont continué à vivre comme à leur habitude. Des visites d’amis, des discussions, des lectures, le tout entrecoupé de séances de travail, séances des parents comme des enfants. Nadine et son mari se sont réorganisés professionnellement. Le salariat n’est plus qu’une histoire ancienne et leur nouvelle occupation peut être exercée de n’importe où dans le monde, du jour au lendemain.

Ils sont heureux, tout simplement, détendus, fidèles à eux-mêmes et droits dans leurs convictions. Mais pas isolés du tout dans leur bonheur, ils restent en contact avec ceux qui essaient de changer le monde. Ceux qui, sans ocmpter leurs heures de travail, ont monté des écoles différentes, dans lesquelles ils accueillent des enfants laissés pour compte, mais sont accusés, par avance, que leurs élèves ne maîtriseront pas le socle commun et menacés de la fermeture de leur établissement. Il est vrai que lorsqu’un énième plan gouvernemental est mis en place, pour assurer cette maîtrise du socle par les élèves scolarisés en école publique, cela dispense de se questionner sur les résultats, de ces élèves, et des plans précédents…

Ah mais si, finalement, Nadine et les siens réalisent que c’est l’époque de la rentrée. Parce que, comme les hirondelles printanières, voici le retour des reportages sur la rentrée et la non rentrée.

Photo Vineeth Vasu via Pexels

Le feuilleton des mamans 17
Mireille 6 : L’éthique de Monsieur N’est-ce pas

– Eh bien, que s’est-il passé ? Tu sembles bouleversée. La Sadique aurait-elle encore sévi ?
– Non. Pas du tout. Ah je t’assure, je regrette tellement que tu aies démissionné. Nous avons eu une réunion tout à l’heure, à propos de l’IEF. (Instruction En Famille) Entre les premiers contrôles, que certains, comme la Sadique, transforment automatiquement en deuxième contrôle puis en injonction de scolarisation, et la campagne de demandes d’autorisation qui va commencer, le DASEN avait des consignes à nous transmettre.
Des consignes ?
Oui, mais figure-toi qu’il n’a pas eu le temps de nous les détailler. J’avais préparé, comme d’habitude, de quoi prendre des notes, et surtout, de tracer un bâtonnet à chaque fois que notre collègue prononcerait « n’est-ce pas » !
Il n’en n’a pas prononcé un seul ?
Il a commencé à toussoter. Les autres le regardaient d’un air moqueur. Le DASEN s’est tourné vers lui, un peu excédé, en lui demandant s’il avait quelque chose à exprimer. Et là, Monsieur N’est-ce pas s’est lancé. Je n’ai pas noté tout ce qu’il a dit, je ne m’attendais pas du tout à de telles paroles.
Il a rappelé, que l’ancien professeur d’histoire-géographie, qu’il avait été avant de devenir inspecteur, n’avait pas oublié l’enseignement des sombres heures qui ont sali notre démocratie, il y a plus d’un demi-siècle. Qu’à cette époque, des fonctionnaires avaient choisi d’obéir, d’autres, de désobéir, aux ordres du gouvernement en place. Qu’il lui semblait qu’une funeste chasse était aujourd’hui de nouveau en cours. Que le gibier, c’est le mot qu’il a employé, n’était plus les représentants d’une religion persécutée, mais des familles qui ont la force d’assumer un choix éducatif non institutionnel. Que chacun d’entre nous devrait se questionner sur son éthique, car là, nous ressemblons davantage aux participants à l’expérience de Milgram, soumis à une soi-disant autorité, et qui appuient, sans aucun état d’âme, sur un bouton pouvant donner la mort.
Il a dit cela ?
Oui. Et sans le moindre « n’est-ce pas », d’une seule traite.
Comment ont réagi les autres ?
Tout le monde était très intéressé par son écran de téléphone portable, par le bout de ses chaussures, par ce qui se passait dans la rue. Bref, pitoyable !
Et le DASEN ?
Honnêtement, au début de la réunion, il ne me paraissait pas très à son aise. De ce fait, je me demande si Monsieur N’est-ce pas n’a pas dit ce qu’il pensait au fond de lui, mais ne s’autorisait pas à exprimer devant tout le personnel. Il a simplement suggéré de remettre cette réunion à la semaine prochaine. Tout le monde s’est littéralement sauvé de la salle. Je crois, néanmoins, que le plus bouleversé était Monsieur N’est-ce pas lui-même. Il en tremblait. Je suis allée le voir dans son bureau ensuite. Et je l’ai remercié. Il m’a regardée, en prenant mes mains dans les siennes, sans rien dire. J’ai cru qu’il allait pleurer.

Le feuilleton des mamans 16
Bérangère 6 : Déficits en tous genres

Bérangère ne sait plus du tout où elle en est. Elle se faisait une fête, et bien plus encore, d’obtenir le poste qu’elle convoitait, mais, alors que cette promotion est confirmée, elle ne parvient à la savourer. A la maison, ce n’est pas mieux. Il lui semble que les enfants l’évitent. Chéri s’isole de plus en plus dans un monde qu’elle ne parvient à appréhender. Son entreprise, soucieuse du bien-être de ceux de ses salariés prêts à déménager en province, avait organisé une visite du futur siège social en partenariat avec des agences immobilières locales. Chéri en est revenu la tête farcie de projets plus verts qu’un pâturage printanier. Va-t-il en rester à la lubie de devenir pâtisser ou va-t-il se lancer dans l’élevage de chèvres , s’inquiète Bérangère ?

Le week-end dernier, il est parti à Trifouilly-les-Herbes et les Cailloux avec les enfants. Elle a prétexté avoir du travail, suite à sa nouvelle prise de poste. Il n’a pas été dupe de son excuse. Comment en sont-ils arrivés là, à cette platitude de dialogue conjugal ? Ni dispute, ni partage. Une telle vacuité mène-t-elle inéluctablement au divorce ? L’inquiétude de Bérangère va grandissante. Est-elle fautive d’aimer son travail et sa vie en ville ? Si elle était un homme, le lui reprocherait-on ?

Les enfants sont revenus ravis. D’avoir dormi à l’hôtel, d ‘avoir vu des vaches en liberté dans des champs, d’être montés sur un tracteur, d’avoir savouré des pâtisseries régionales ou d’avoir visité des maisons avec un jardin et chacun leur grande chambre ? Chéri, de surcroît, avait bien préparé son argumentaire. Les troubles du comportement de la petite, auxquels l’institutrice a fait allusion l’autre jour, lors du rendez-vous qu’elle nous avait fixé, sont fréquents chez les enfants vivant exclusivement dans un territoire urbain. Or, les enfants, et ceux-là bien davantage, ont absolument besoin de jouer librement et qui plus est, dans la nature. Les spécialistes appellent cela : le déficit de nature. Ce n’est pas ce déficit qui va me culpabiliser, si j’abandonne mon travail et que je déménage là-bas, qui va s’inquiéter de mes déficits, bancaires, sociaux, professionnels, amicaux et tous les autres, s ‘insurge Bérangère, à bout de patience ?
Photo Matthias Zomer, via Pexels

 

Le feuilleton des mamans 15
Nadine 5 : La fin d’un système…

Nadine, son mari et les enfants ont puisé une force indestructible dans les rencontres et les discussions avec des familles non sco. Ils ont aussi beaucoup échangé avec d’autres familles, pas directement concernées par ce mode de vie, mais conscientes que la liberté en général était encore attaquée par la loi contre l’instruction hors école.

La famille de Nadine a rencontré des désobéissants civils assumant leur posture, d’autres se cachant, des familles entre bagages, cartons et départ et quelques-unes, qui se sont alignées. Au fil des discussions, ils ont remarqué que la peur et la sidération, qui les avaient quelque peu anéantis au début de cette odieuse parodie, ne les touchaient désormais plus. Un jour, ce sont les tyrans que la peur fait transpirer et trembler. A l’Ouest, qui aurait cru que le Mur tomberait ? Ici aussi, le système peut s’écrouler du jour au lendemain, se dit quotidiennement Nadine.

Galvanisés par les travaux de chercheurs compétents et reconnus, mais apparemment inconnus à certains…, Nadine, et d’autres familles, savent au fond d’elles-mêmes, qu’elles ont fait le bon choix. Alors, heureux, sans devenir niais et crédules, forts de la liberté que tous se donnent, ils vivent et apprennent debout. Librement. Conscients de ce que l’Histoire retiendra de cette période, ils œuvrent avec détermination, chaque jour plus nombreux, à créer une autre société. Le point de bascule est déjà dépassé…

Le feuilleton des mamans 14
Mireille 5 : Colère magnitude 9

– Alors, cette fois, c’est bon, vous avez trouvé votre local ? Vous ouvrez bientôt ?
– Je l’espère. Nous avons une si longue liste d’attente. Les parents, et les enfants, sont impatients. Pour certains, notre école sera une véritable planche de salut. C’est terrible le nombre de parents qui viennent nous voir, nous implorent presque. Et pleurent. Je n’aurais jamais imaginé une telle situation.
– Je ne suis pas étonnée. Tous ces profils soi-disant atypiques deviennent la norme. Qui sont les neuro-divergents au final ? Qui est normal, qui ne l’est pas ?
– Tu deviens philosophe dis donc !
– Et alors, pourquoi « je l’espère », un nouveau problème est-il survenu ?
– En fait, devant la difficulté à trouver un local nous convenant, nous avions d’abord envisagé de nous installer sous une yourte, puis plusieurs autres. Mais selon les municipalités, ce genre d’idée peut rapidement virer au cauchemar. Alors, nous avons pensé faire construire un bâtiment qui correspondrait exactement à nos besoins. Nous avions rencontré une architecte enthousiasmée par notre projet d’école démocratique, nous étions très confiants.
Mais à force de lire le code de ceci et le code de cela, nous avons découvert un arrêté publié au Journal officiel le 31 décembre 2020 et modifiant l’arrêté du 22 octobre 2010 relatif à la classification et aux règles de construction parasismique applicables aux bâtiments de la classe dits « à risque normal ».

– Ce qui, en clair, signifie ?
– Ce qui signifie que des mesures supplémentaires, l’Eurocode 8, sont imposées aux bâtiments neufs.
– Que les neufs ?
– Oui, pas aux bâtiments existants. Ceux-là seront épargnés par les gentils tremblements de terre qui éviteront de les détruire en les contournant soigneusement.
– Hum, quelle ironie ! Tu déprimes mon Cher, tu te donnes tellement à fond dans ce projet. Fais attention à toi, à ta santé.
– Donc exit la yourte. Exit la construction neuve parfaitement adaptée. La bonne nouvelle est que nous avons un bâtiment ancien en vue, en souhaitant ne pas avoir de mauvaises surprises avec le PLU ou autre réglementation.
– Ah, tu dois vraiment avoir la foi chevillée au corps dans ce pays lorsque tu veux réaliser un projet qui te tient à cœur…
– Oui, et je t’assure que si de nouveaux empêchements retardent encore l’ouverture de notre école, je vais piquer une colère, au moins magnitude 9 !
Photo : Александр Лич via Pexels

 

Le feuilleton des mamans 13
Bérangère 5 : 7e ciel pile et face

Bérangère est en é-bu-l-l-i-tion ! Bérangère plane et se pâme ! Bérangère est en route vers le 7e ciel ! Depuis quelques jours, le bureau bruisse de 1 000 rumeurs. Un poste se libérerait très prochainement. Et quel poste ! Celui que Bérangère convoite. Celui pour lequel son cœur bat bien davantage que 35 heures par semaine.
Une très légère inquiétude l’étreint . Si la rumeur se confirme et si elle obtient ce poste, comment vont réagir Chéri, les enfants, ses parents et ses beaux-parents ? Il lui sera totalement impossible de refuser une telle promotion, qui n’a rien à voir avec le statut d’épouse du pâtissier de Trifouillis-les-Herbes et les Cailloux.

Un petit tour à la machine à café pour épier les potins ou terminer ses tâches en cours ? Les deux options sont également tentantes. Bérangère choisit le détour par les sanitaires : pause pipi, eau fraîche et rectification du maquillage pour s’éclaircir les idées. Du moins, le croyait-elle… Sans s’attendre à y trouver une collègue aux yeux rougis. Une collègue habituellement si maîtresse d’elle-même. Une intimité soudaine apparaît, sans fausse pudeur, entre le clapotis de l’eau froide, les tapotements sur les joues, les reniflements et le souffle court de Bérangère. Sa collègue a demandé un congé sabbatique afin de sauver l’un de ses enfants. Au sein de « l’école inclusive », tant vantée selon la novlangue officielle, à son corps défendant, ce petit « neurodivergent » épuise son institutrice et ses camarades. Une personne expérimentée a pourtant proposé des solutions. Simples de surcroît. Casser un petit muret, pour agrandir l’espace sonore, masser régulièrement l’enfant, l’accompagner, afin de soulager sa souffrance. Rien n’a été pris en compte. Il va être exclu de l’école et dirigé vers une structure médicalisée. Les parents vont se battre. Leur enfant est différent ! Et alors ? Cela va prendre du temps. D’où la demande de congé sabbatique adressée à chacune des entreprises dans lesquelles ils travaillent.

Bérangère est retournée dans son bureau, le cœur chaviré. Son plaisir d’obtenir ce poste tant convoité est brusquement terni. Ah ! Son téléphone vibre ! Un SMS de Chéri : « N’oublie pas que nous avons rendez-vous à l’école, tout à l’heure, avec l’institutrice de la petite. » Bérangère sursaute, étouffe un cri, elle avait complètement oublié.

Photo : Matt Production, via Pexels

 

Le feuilleton des mamans 12
Mireille 4 : Ravager des familles dans l’intérêt supérieur de l’enfant ?

Mireille se souvient de ses appréhensions durant le mois de juin. Eh bien, entre la nouvelle loi contre l’IEF – Instruction En Famille – et le manque d’enseignants, c’est vraiment le pompon ! Le feraient-ils exprès au ministère ? Les directives pleuvent, autant que les giboulées de mars, mais ne font, malheureusement, qu’assécher sa marge de manœuvre et celle de ses collègues. Et il faut faire ceci, et comme cela, et il faut faire cela, et comme ceci ! Ne sont-ils considérés que comme des idiots, des incapables ? Sa cousine, maire d’une petite commune rurale, lui a déjà téléphoné à plusieurs reprises, passablement énervée, puis s’excusant à chaque fois, en fin de conversation. Effectivement, Mireille n’est pas le ministère, alors si des familles IEF, très investies socialement dans le territoire, ont mis leur maison en vente et quittent le pays, cela produira un grand vide, mais leur décision est compréhensible.

Mireille jette un coup d’œil sur son planning. Voyons, la prochaine réunion, encore une, sera sur … ah, le contrôle des nouveaux enseignants ! Le contrôle, toujours le contrôle ! La Patrie des Droits de l’Homme virerait-elle au totalitarisme ? Et comment vont-ils « contrôler » ces nouveaux enseignants, notamment ceux qui ne savent rien de ce métier, qui ont été envoyés au front scolaire, du jour au lendemain, simplement outillés d’une brève préparation de 4 ou 5 jours, croyant qu’ils allaient enseigner à des enfants en maternelle mais se trouvant finalement, face à des élèves de cours moyen ? Ne faudrait-il pas plutôt les former, les aider, les accompagner, et n’aurait-il pas été plus judicieux, en amont, de gérer la situation de manière intelligente ?

Son ancien collègue conseiller pédagogique lui manque tellement. Ils sont restés en contact. En plaisantant, il lui dit de candidater à la rue de Grenelle, qu’elle ferait une excellente ministre de l’éducation. Au moins, elle connaît la réalité du terrain, elle est pragmatique, et non, dogmatique. Mais les ors des palais ne sont pas de son goût.

Mine de rien, car le sujet semble de plus en plus glissant à l’inspection académique, elle se documente sur les effets délétères de la nouvelle loi de demande d’autorisation de l’IEF. Les familles refusées au petit bonheur la chance, ne lâchent rien. La justice et les médias commencent à s’en mêler. Où cela va t-il mener ? Depuis 1998 que ces familles sont abusivement accusées de tous les maux : dérives sectaires, délinquance, terrorisme, séparatisme, il serait temps de cesser cet acharnement, et pourquoi pas, se demande t-elle, de revenir à la loi d’avant 1998 : L’inspecteur peut, aux 8, 10 et 12 ans de l’enfant, vérifier son instruction. Après tout, aucun enfant instruit en famille avant 1998 n’est devenu terroriste.

– Alors, tu es au courant de la nouvelle ? jubile sa collègue, celle qu’elle surnomme « la sadique ».
– Non, que se passe t-il ?
– Le ministre vient visiter l’inspection la semaine prochaine !
– Le ministre ? Ici ? La semaine prochaine ?
Tandis que « La sadique » va propager la bonne nouvelle dans les autres bureaux, l’esprit déjà obnubilé par les rendez-vous à prendre chez l’esthéticienne, le coiffeur, à compléter par l’achat, totalement indispensable, d’une robe neuve et d’une paire d’escarpins assortis, Mireille sort son téléphone portable et pianote rapidement, en choisissant un horaire.

Bonjour Docteur.
– Bonjour Madame, comment allez-vous ?
– Je vais bien, merci.
– Alors, que me vaut le plaisir de votre visite ?
– Eh bien… je voudrais un arrêt de travail d’une dizaine de jours.
– Une dizaine de jours ? Que vous arrive t’il ?
– Rien, enfin, juste un peu de fatigue. Mais dans une incompressible tornade de sanglots, Mireille lâche finalement tout le poids de son quotidien. Couronné par la visite du ministre. Qu’elle ne veut absolument pas voir.
– Chère Madame, ce n’est pas un arrêt de travail d’une dizaine de jours, que je vais vous prescrire, mais d’une durée plus longue.
– Mais non Docteur, je dois faire…..
– Vous devez faire la sieste, des promenades dans la nature, lâcher prise, vous détendre et penser à vous. Sinon, vous n’irez pas loin. Vous voulez sauver tout le monde, des familles, des enseignants, pensez à vous préserver d’abord, ensuite vous verrez. Et puis lui lance t-il taquin, vous lirez le compte-rendu de la visite du ministre dans le journal local !

Le feuilleton des mamans 11
Bérangère 4 : Une femme libre

Décidément, quel été ! Bérangère s’en souviendra… Les enfants avaient d’abord passé trois semaines chez les grands-parents maternels. Entre châteaux de sable, baignades en mer, crêpes bretonnes et Fest Noz, tout le monde était ravi. Bérangère et Chéri étaient allés les chercher. Le trajet avait été un peu long. Un peu, beaucoup, silencieux. Chacun dans sa bulle. Quelques jours de repos en Bretagne, avant de rentrer et de terminer la semaine en famille. Puis, les grands-parents paternels avaient pris le relais. Cette fois, randonnées en montagne, baignades au lac et cueillette de mûres avaient été au programme.

Durant tout cet été, Chéri avait passé des heures et des heures à consulter les annonces immobilières. Bérangère s’était insurgée : « Et mon travail ? Mon entreprise garde ses locaux. Je ne vais pas télétravailler avec les enfants dans les jambes ! D’ailleurs, mon poste, ou plus exactement, celui que je vise, aurait-elle dû dire, ne s’exerce pas en télétravail. » Chéri avait longuement regardé Bérangère. Pas franchement d’un air énamouré. Et doucement, lui avait asséné le coup fatal. « En fait, quitte à changer de lieu de vie, je pense demander à passer à mi-temps, et en parallèle, suivre une formation. Depuis mon enfance, je rêve d’être pâtissier. J’ai fait des études supérieures pour faire plaisir à ma famille. Mais je passerais bien un CAP de pâtissier. »

Bérangère avait cru sentir les entrailles de la Terre s’entrouvrir et l’engloutir. D’un MBA à un CAP, de cadre supérieur à pâtissier… Sa gorge était plus sèche que si elle avait traversé le Sahara sans boire la moindre goutte d’eau. Chéri avait continué sur sa lancée. « J’ai commencé à m’acheter quelques recueils de cuisine, les textes de base, ceux d’Auguste Escoffier, d’Antonin Carême, de Félix Urbain-Dubois, des traités de pâtisserie et le répertoire de Gringoire et Saulnier. C’est passionnant ! »
Alors vraiment, c’était sérieux ?
« Tu sais, je ne suis pas le seul dans ce cas. De nombreux cadres supérieurs se réorientent professionnellement. Un journaliste a même enquêté et écrit un livre sur ce sujet et un universitaire américain a ouvert un garage de réparation de motos. »

A chacune de ses phrase, Bérangère croyait défaillir un peu plus. Avant qu’il ne puisse ajouter un autre argument, elle avala l’ultime et infime gouttelette de salive qui lui restait, et le fixant dans les yeux, d’une voix blanche, prononça victorieusement sa sentence d’indépendance : « Eh bien, déménage avec les enfants. Je prends un studio et je vous rejoindrai un week-end sur deux. »

Notes :

La révolte des premiers de la classe, Jean-Laurent Cassely
Eloge du carburateur, Matthew Crawford
Photo : Boris Ulzibat

Le feuilleton des mamans 10
Nadine 4 : En confiance malgré le dégoût

Nadine n’est même plus en colère. Elle est simplement dégoûtée au-delà de toute mesure. Jamais, pense t-elle, l’adage populaire « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage » ne s’est autant vérifié. Et depuis 1998, force est de constater que les familles s’instruisant hors école, en ont connu des attaques de cette étrange maladie, aux variants aux noms suffixés en « isme »….
Alors, après l’obligation d’instruction à 3 ans, au mépris de l’importance du jeu, mode d’apprentissage si efficace et vital pour les enfants, à tel point que l’Ecosse envisage de relever l’âge de la scolarisation à 6 ans, au lieu de l’usage habituel à 4 ans
L’Écosse pourrait porter l’âge d’entrée à l’école à six ans selon de nouvelles propositions
voilà que l’IEF (Instruction En Famille) s’est trouvée cadenassée par toutes sortes de fausses précautions.

Dans les bureaux des instructions académiques, certains font leur travail de manière correcte et professionnelle, tandis que d’autres s’en donnent à cœur joie et refusent à tour de bras, les demandes des familles. 100 % de refus en Seine-Saint-Denis, s’indigne Nadine qui découvre cette information dans une liste de discussion. Ce n’est donc plus qu’à cela que se réduit désormais la Patrie des Droits de l’Homme ! Il va falloir réécrire les manuels d’éducation civique, EMC – Education Morale et Civique – selon la novlangue actuelle, mais où est-elle la morale ?

Nadine en vomirait presque. Mais elle se ressaisit. Ce serait donner trop d’importance à ces bassesses que de se ruiner la santé à cause d’elles. Inspirée par sa lecture attentive des livres d’Henri-David Thoreau, elle envisage, très sereinement, si besoin est, de recourir à la désobéissance civile. Chaque enfant est différent. Chaque famille est différente. « L’intérêt supérieur de l’enfant » cité à tout venant et bafoué tout autant, est de tenir compte de ces différences, pense t-elle. Et ce n’est pas l’un des derniers articles, faisant état des résultats d’une recherche universitaire, sur des enfants scolarisés et d’autres, instruits hors école, qui la fera changer d’avis :
Nouvelle étude de Harvard : Les enfants scolarisés à la maison sont heureux, bien équilibrés et motivés
Les enfants scolarisés à la maison s’en sortent mieux que ceux qui fréquentent les écoles publiques dans de nombreuses catégories.

Non mais ! Que les politiciens se documentent avant de légiférer de la sorte, ou qu’ils assument la réalité, non dite, de leur action, se dit-elle, bien décidée à ne plus jamais mettre les pieds dans un isoloir.

 

Le feuilleton des mamans 9
Mireille 3 : Non candidate et pourtant….

Déjà le mois de juin ! Le temps a filé à toute allure. Cette année scolaire n’est pas encore terminée que la prochaine est déjà en préparation. Mireille se questionne. A quoi ressemblera cette rentrée ? Entre les nouvelles directives à l’encontre de l’instruction en famille, sans compter l’obsession de certains vis-à-vis des écoles hors contrat. S’y ajoute le peu de candidats au concours d’enseignants. Syndicats et familles vont se faire entendre, encore de l’agitation en perspective !

En attendant le chaos, Mireille savoure ses ultimes semaines de collaboration avec son collègue conseiller pédagogique.
– Alors, tu es vraiment certain, tu pars ?
– Oh que oui ! Tu sais bien que j’ai donné ma démission, je ne reviendrai pas en arrière. Et je suis tellement impatient d’ouvrir cette école. Toute l’équipe est impatiente. Tu viendras nous contrôler ?
– Très drôle !
– Mais non Madame l’Inspectrice, j’ai encore mieux pour toi, pour l’ancienne prof de maths que tu as été. Tu sais, qu’il nous manque une facilitatrice dans cette matière, cela ne te dirait pas de revenir à l’enseignement, et qui plus est, dans une école démocratique ?
– Moi ? Dans une école démocratique ? Et de nouveau prof ?
– Et pourquoi pas ? Au moins, tu connais le langage de la maison « Education nationale », tu connais l’enseignement, les programmes, les élèves, les parents, ce qu’attend un inspecteur, bref, tout. Tu es la recrue idéale. Ce qui n’est pas du tout le cas des autres membres de l’équipe. Tous des Madame et Monsieur Tout le monde qui n’avaient jamais imaginé se lancer dans une telle aventure. Je t’assure que nous en avons lu des livres, des articles sur ces écoles différentes, sur ce qu’en deviennent les anciens élèves, sur le fonctionnement, les contrôles de l’inspection académique, les lois, etc. J’ai parfois l’impression que mon cerveau va exploser.

C’était quelques jours auparavant. Mireille n’a pas accepté. Elle sait bien, au fond d’elle, qu’ils trouveront la perle rare, en accord avec leurs valeurs, et que cette école sera un véritable havre de paix pour certains adolescents. Pour sa part, elle se sent à sa place à l’inspection académique. Elle a conscience de ce qu’elle peut apporter à des enseignants et à des familles. Et elle ne voudrait pas se priver de ce qu’elle découvre chez les familles qui s’instruisent elles-mêmes. Elle ne leur dit pas, mais elles sont sa bouffée d’oxygène face à certains collègues qui n’ont de cesse que rien ne dépasse des petites cases officielles. En voilà justement une qui s’approche de son bureau, l’air réjoui, sadique presque. Aujourd’hui, à combien d’enfants a-t-elle refusé le droit de s’instruire en famille ? Sur combien de fratries s’est exercé son arbitraire : toi oui, toi non ! Mireille serre les dents, elle va devoir s’accrocher. Son téléphone vibre. Un texto de sa fille : « Maman, j’en ai marre du collège, je ne peux rien faire. Je voudrais aller dans l’école démocratique où tu vas travailler ! » Mireille écarquille les yeux, interloquée !

 

Le feuilleton des mamans 8
Bérangère 3 – Crispation

Depuis quelques jours, Bérangère est moins tonique, moins dynamique, moins punchy. Bérangère glisse vers la sinistrose aussi sûrement que ses enfants glissent sur le toboggan. En piaillant de surcroit, ce qui lui vrille les oreilles, lui lessive le cerveau et lui met les nerfs en pelote.

Chéri ne semble rien remarquer. Chéri semble planer. Sur un petit nuage rose et bleu. Non. Vert. Vert campagne. Au-dessus d’un quelque part perdu, isolé. Loin. Au-dessus d’un endroit désertique, entre des touffes d’herbes et des amas de vieux cailloux.

Elle ne peut pas dire que la discussion a été houleuse, elle a refusé toute discussion à ce sujet. Elle n’avait pas signé pour déménager et s’enterrer vivante, songe t-elle rageusement. Elle avait signé avec un jeune cadre, aux dents longues, aussi longues que les siennes, pour qu’ils raclent ensemble le plancher professionnel, et pourquoi pas, aussi profondément que le magma terrestre. Pour acheter un appartement, agencé et décoré comme ceux qu’elle admire dans les pages des magazines et sur Instagram. Pour avoir deux enfants, sans que leur présence ne nuise à sa carrière. Pour mener une existence rangée, sans se compliquer la vie et tout remettre en cause. Chéri ferait-il sa crise de puberté sur le tard ? Il faudra qu’elle questionne ses beaux-parents.

« Notre train est arrêté en pleine voie. Veuillez ne pas ouvrir les portes ni tenter de descendre du train. » Bérangère n’a pas entendu le message d’information, mais remarque que le paysage a cessé de défiler à travers la fenêtre et que des passagers soufflent d’un air grognon. Elle enlève ses écouteurs. « Mesdames et Messieurs, ici le conducteur du train. Un arbre est tombé sur la voie. Nous devons donc attendre que le passage soit dégagé pour pouvoir reprendre notre trajet. Le trafic est interrompu dans les deux sens de circulation pendant au moins deux heures. Je reviendrai vers vous dès que j’aurai davantage de détails à vous transmettre. »

Les passagers lèvent les yeux au ciel, s’agitent, téléphonent à tout va. Bérangère ajuste ses écouteurs, règle le son de son appareil et se cale confortablement sur son siège. Tout à l’heure, elle appellera Chéri, lui dira de faire dîner les enfants. Là-bas, loin, là où Chéri souhaite déménager, des trains roulent-ils, se demande t-elle dubitative ? Qu’importe, pour l’instant, elle savoure ce moment de plénitude.
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Le feuilleton des mamans 7
Nadine 3 – Liberté, comment écrire ton nom ?

Nadine est en plein questionnement personnel. Un véritable tourbillon de pensées se bouscule dans sa tête. Le contrôle de l’instruction de ses enfants, et surtout son déroulé, a levé une tempête inattendue en elle.

Au printemps dernier, tout le monde était obligé d’être en téléécole. Sa petite famille, comme d’autres, a pris goût à cette nouvelle organisation de vie. A souhaité la continuer. Parents et enfants ont tout fait dans les règles : déclaration à l’inspection académique, à la mairie, contrôle de l’instruction, enquête de la mairie. Les enfants sont épanouis, ont beaucoup appris, bien progressé, rencontrent de nouveaux copains, tout en gardant les anciens. Les parents vont beaucoup mieux aussi Et bing ! Toute la famille a été démolie !

Nadine se souvient d’un message dans le fil de discussion d’un groupe IEF. Elle le cherche, le retrouve. Prend contact. Vérifie la date du pique-nique proposé. Il tombe… aujourd’hui ! Quelle synchronicité. Cette suggestion est acceptée à l’unanimité familiale, avec joie et enthousiasme. Plus personne n’a encore goût au travail scolaire. Ils sont désormais, parents et enfants, après cet inadmissible contrôle, dégoûtés des exercices, des règles, des manuels et des cahiers. Le panier repas, alléchant et odorant, est préparé en choeur. Les chiens, de la partie bien sûr, sautent avec eux dans la voiture.

Cette journée marquera leur existence. A tout jamais. Aucun n’a eu besoin de le dire aux autres. Le soir, en se couchant, Nadine et son mari ont longuement bavardé, se remémorant toutes les discussions, de cette journée si riche humainement, ces discussions décousues ou suivies, mais toujours inspirantes et portant à l’introspection; Ils ont conscience du fossé qui les sépare de certaines de ces familles, qui ont si mûrement réfléchi leur choix d’IEF. Ils réalisent qu’ils ne s’agit pas d’une méthode pédagogique, mais d’un mode de vie. Ils comprennent mieux aussi, les ressorts de cet acharnement politique depuis plus de 20 ans. Les accusations, diverses et variées, pour salir les familles, face à la montée inexorable d’un autre type de société. Ils comprennent, petit à petit, que certains de nos choix de vie, et qui sait, peu-être même tous, ne sont pas anodins. Et que les assumer demande du courage. C’est la première fois, qu’ils ressentent la valeur du mot « liberté ». Sans éprouver néanmoins, le sentiment d’être libres. Bien au contraire. Il leur semble toucher du doigt, les murs et les barbelés qui les enserrent perfidement. Mais ils se font le serment de ne plus se laisser emprisonner par de faux-semblants.
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Le feuilleton des mamans 6
Mireille 2 – Rad…. ou détermination ?

Mireille regarde l’horloge accrochée au mur de son bureau. Il lui reste quelques minutes avant le début de la réunion. Une énième réunion à propos des pratiques d’évaluation. Au menu de celle d’aujourd’hui : L’évaluation des enfants de 3 ans en IEF – Instruction En Famille.

Mireille en a presque un haut-le-cœur. Evaluer des petits qui ont encore tant besoin de sécurité affective, de tendresse, d’un cocon d’amour protecteur. Ne devrait-elle pas, à l’instar de son collègue, conseiller pédagogique, démissionner elle aussi ? Se sent-elle encore vraiment en phase avec les directives ministérielles, avec ce qui lui est demandé d’accepter ? Elle ne peut s’empêcher de songer aux rafles de la seconde guerre mondiale. Au fond d’eux, à quel moment, certains fonctionnaires ont-ils donné priorité à leur conscience ? Elle continue son monologue intérieur… puis sursaute !
« Alors, tu es prête ? La réunion va commencer. » Le visage de sa collègue, qui vient de frapper, apparaît dans l’entrebâillement de la porte.
« Oui, j’arrive. » répond t-elle sans entrain.

Mireille essaie de chasser les pensées qui tourbillonnent dans son esprit. Ah celle-là, bien sûr qu’elle est pressée de recevoir des consignes. Strictes. Encore plus strictes. Toujours plus strictes. Si contente d’elle de raconter qu’elle demande à des petits de trois ans en IEF, de lui expliquer ce qu’est l’argent, ce qu’est la France. Et qu’elle est « obligée » de revenir dans un mois, pour un second contrôle, prélude à une mise en demeure de scolarisation, tellement le niveau de l’élève est bas, ses résultats insuffisants. Espèce de k…. ! La violence du mot qu lui vient aux lèvres heurte Mireille elle-même. Mince, je me radicalise ou quoi ?

Elle se reprend. Un coup de peigne rafraîchit sa coiffure. Un peu de rouge à lèvres rehausse son teint. Son tailleur met sa silhouette en valeur. D’un pas assuré, presque martial, claquant ostensiblement des talons de ses escarpins, Madame l’Inspectrice sort de son bureau, traverse le couloir et pénètre dans la salle de réunion. Le premier qui se vante d’avoir fait pleurer une famille, je le ….. ! Zut ! Je me radicalise vraiment !

Madame l’Inspectrice adresse un sourire convenu à l’ensemble de ses collègues. Seul l’un d’entre eux perçoit la flamme déterminée qui brille dans son regard.
Photo de Juan Pablo Serrano Arenas via Pexels

Le feuilleton des mamans 5
Bérangère 2 – Le retour au bureau

Bérangère est aux anges. Enfin, le retour à plein temps au bureau ! Le matin, elle se lève avec entrain, se prépare, se maquille, quitte son logement sur un petit nuage. Son casque enfoncé sur les oreilles, elle savoure la moindre minute de retard du train, tandis que d’autres passagers soupirent en regardant l’heure.

Bérangère se sent légère, si légère. Elle est de nouveaux une femme active, occupée, moderne, indépendante ! Combien de temps encore aurait-elle tenu, en télétravail ? Combien de fois par jour a t-elle entendu « maman » , « maman » ? Si elle avait dû tracer un bâtonnet à chaque fois, une seule feuille n’aurait pas suffit. Elle aurait eu besoin d’un bloc entier !

Ce retour au bureau a été merveilleux pour elle. Tout simplement sublime. Comme elle n’a rien perdu, bien au contraire, de son esprit carriériste et de son ambition, elle a vite jaugé la situation. Qui a déménagé. Loin. Très loin. Trop loin pour revenir tous les jours. Qui a pris goût au télétravail. Qui a quitté l’entreprise et a choisi une autre voie. Qui ceci. Qui cela. Bérangère a scruté chaque collègue, chaque poste de travail. S’est mentalement représenté l’ensemble des promotions à venir. Et telle une athlète sur la ligne de départ, a pris son souffle, s’estimant en tête de peloton.

Son téléphone ne cesse de biper. Instagram est débordé. Qui ne raconte ses journées de retour au bureau ? Les confidences fusent autour de la machine à café. Entre joie et désarroi.

Bérangère se force à se concentrer sur ses dossiers. Ne serait-il pas préférable qu’elle éteigne cet appareil, au lieu de succomber à la tentation non stop, de lire story sur story ? Oh, mais si la directrice de l’école des enfants appelait ? S’il leur arrivait quelque chose ? Elle hésite un bref instant. Après tout, les enfants ont aussi un père… Au moment où, d’un geste décidé, elle s’apprête à éteindre son téléphone, il vibre de nouveau. Bérangère jette un coup d’oeil dessus. Un SMS de Chéri.
                                        « La direction a décidé de se défaire des derniers locaux d’ici la fin de l’été, dans un peu plus de 2 mois. Le siège sera délocalisé en province, en pleine nature. Que dis-tu de cette formidable opportunité de commencer une nouvelle vie ? »

Bérangère voudrait voler, à la manière d’un aigle majestueux, au-dessus du périphérique, au-dessus des caténaires endommagées, au-dessus des trains à l’arrêt sur les voies à quelques mètres de leur gare de destination, voudrait se faufiler, comme un passe-muraille, de couloir en couloir, et pénétrer dans des rames de métro bondées. Bérangère voudrait hurler qu’elle adore ce que certains abhorrent. A ce moment précis, elle se sent incapable de répondre à Chéri. Alors, d’un geste rageur, elle éteint son téléphone, et, passant d’un écran à un autre, fixe son attention sur les tableaux Excel qui remplissent sa vie.
Photo provenant de Pixabay

Le feuilleton des mamans 4
Nadine 2 – Du contrôle à la souveraineté

Nadine est encore sous le choc. Elle n’aurait jamais cru que ce contrôle de l’instruction allait se dérouler ainsi Elle avait passé de longues heures à lire témoignages, conseils et réponses, passant d’un groupe à l’autre, de Facebook à Messenger, de Whatsapp à des listes de discussion. Elle se sentait prête; Ils se sentaient tous prêts, parents et enfants. Sûrs d’eux, faisant de leur mieux, enthousiastes, heureux, et peut-être même inconscients.

Dernièrement, de nombreuses familles avaient passé cette épreuve. Redoutable pour certaines; Constructive pour d’autres; Avec un effarement frisant la panique, elle avait appris qu’un contrôle, qui, en apparence, se déroule bien, pouvait être relaté tout autrement dans un rapport, qui ne pouvait alors être qualifié que de mensonger. Elle avait appris que les lois, qu’elle croyait devoir être respectées, pouvaient aussi être allègrement piétinées. Elle avait appris que le nécessaire devoir de réserve de certains, pouvait n’être que comme une fleur légère à la boutonnière, envolée d’un mince coup de vent.

Mais comme elle s’était promis de ne plus laisser la peur l’envahir, elle s’était reprise, avait galvanisé la troupe familiale, et souriants de toutes leurs dents, détendus, unis , sincères, ils avaient échangé un clin d’oeil complice, vérifié que le jus de fruits était bien au frais, tandis que le moelleux au chocolat embaumait la maison, prémices d’un goûter de délivrance,

L’inspecteur d’académie et le conseiller pédagogique étaient arrivés. Et rien ne s’était passé comme prévu. Il avait fallu batailler, pour que les enfants ne soient pas séparés des parents, pour que la présence du témoin médiateur soit acceptée, pour que les enfants ne soient pas piégés par des tests portant sur des sujets non étudiés, pour rappeler qu’entre février et juin, le niveau de connaissance d’un enfant ne peut être le même. Et pour bien signifier, que ce niveau soi-disant insuffisant, résultait d’années de scolarisation et non de 6 mois d’IEF.

Ils avaient pensé sauver les meubles, avaient savouré le goûter réparateur puis étaient sortis, avec les chiens et rejoints par les amis, pour une grande promenade libératoire dans la forêt. Il avait fallu raconter, raconter, chacun y était allé de ses anecdotes. Ils avaient repris le cours de leur vie et avaient presque oublié ce pénible moment. Jusqu’au jour où ils avaient reçu le rapport, annonçant clairement un deuxième contrôle, et entre les lignes, une rescolarisation.

Nadine s’était alors sentie comme une lionne rugissante. Elle venait de comprendre ce que pouvait signifier de ne pas scolariser son enfant. Qu’au-delà des lois qui laissent abusivement supposer que les familles non sco sont embrigadées dans des sectes, sont des terroristes, sont radicalisées, ont à voir avec la délinquance, ou ont des velléités séparatistes, puisque toutes les lois qui portent sur ces sujets les concernent, elle venait de comprendre que tout cela, ces lois infondées, le code de l’éducation, ces décrets et circulaires à gogo, ce vademecum qu’elle avait lu et relu, que tout cela, eh bien, cela ne la concernerait plus. Tout simplement. Elle venait de prendre acte de sa liberté intérieure. Pour la dernière fois, elle avait envoyé un mail à la super juriste d’une association. Puis, suite à une discussion familiale animée et pleine d’espoir, elle avait commencé les démarches pour que toute la famille retrouve sa souveraineté.
Photo de Felix Mittermeier provenant dePexels

Le feuilleton des mamans 3
Mireille 1 –  Les interrogations de Madame l’inspectrice

Mireille remplit machinalement son chariot, l’esprit ailleurs. Par routine, sa main se tend vers les paquets habituels : riz, pâtes, lentilles… Elle continue ses emplettes alimentaires, l’esprit préoccupé. C’est ainsi, après chaque contrôle de l’instruction d’enfants non sco.

Au début, il y a quelques années déjà, forte et campée sur ses certitudes, elle toisait ces familles avec une totale incompréhension. Mais au fil des ans, elle a commencé à nuancer son avis. En fait, chaque rencontre, chaque discussion avec des parents, chaque échange avec des enfants la fait vaciller et remettre en question tout ce qui lui a été inculqué. Et à chaque fois qu’elle inspecte un enseignant, elle pense de nouveau à ces familles, qui l’intriguent de plus en plus.

En réunion, devant ses collègues, elle masque son trouble. Les pratiques de certains la dégoûtent. Elle ne sent suffisamment en confiance avec aucun, donc ne peut faire part de ses interrogations à personne. Heureusement, elle forme une bonne équipe avec le conseiller pédagogique. Ou plutôt, elle formait ! Car il lui a annoncé tout à l’heure, qu’il démissionne à la fin de l’année scolaire. Il se lance, avec d’autres personnes, dans la création d’une école démocratique. Grands dieux ! Comment fera t-elle l’an prochain ?

Son téléphone vibre, elle manque de lâcher la belle scarole qui s’égoutte entre ses doigts. Un coup d’œil sur l’écran. C’est sa fille.

  « Maman, ma nouvelle copine me dit que l’école n’est pas obligatoire ! C’est vrai ? »

Maman / Mireille / Madame l’inspectrice se sent défaillir un peu plus encore. L’inhabituelle chaleur serait-elle en cause ? D’un frappé peu assuré, elle répond à son enfant. Avec un mot en trois lettres.
Photo de George Becker provenant de Pexels

Le feuilleton des mamans 2
Nadine 1 – Instruction en famille : le grand saut et
les sueurs froides de Nadine

C’était il y a quelques mois, tout le monde était obligé de « faire l’école à la maison. » Un nouveau monde s’est ouvert à Nadine et à sa famille. Les enfants ont appris, reposés et calmes. De discussions familiales en discussions amicales, la graine a germé, et après un retour à l’école de quelques semaines, pour terminer l’année scolaire, l’automne a démarré différemment de toutes les années précédentes. 

Nadine est persuadée d’avoir tout bien fait. Elle a dévalisé le rayon « Montessori » du libraire voisin, s’est abonnée à une multitude de newsletters, regarde des vidéos le soir, quand les enfants dorment, très sérieusement en prenant des notes. Elle a aussi intégré des groupes IEF – Instruction en Famille – sur Facebook. En lisant des témoignages, elle a parfois ressenti un certain vertige. Ne s’étaient-ils pas engagés, elle, son mari et les enfants, dans une dangereuse aventure ? Mais non , que peut-il leur arriver ? Ils font tout comme il faut. Même son vocabulaire a changé, elle ne parle désormais plus que de bienveillance, de libre choix et d’intérêt supérieur de l’enfant. Qui pourrait le lui reprocher ? Les enfants vont bien, de même que le papa. Et elle aussi.

Enfin, elle allait bien. Jusqu’à ce qu’elle trouve, un matin en ouvrant la boîte aux lettres, la convocation pour le contrôle de l’instruction des enfants. Cette année, si particulière, ils n’ont pas pu se déplacer dans autant d’endroits, visiter autant de musées, rencontrer autant d’artisans que le font d’ordinaire les familles non sco, comme elle le lit sur les blogs où elles partagent leur vie libre. Mais cette année, les enfants ont mémorisé les tables de multiplication, compris l’accord du participe passé, bouclé le programme d’histoire, celui de géo, sont allés bien au-delà du manuel de SVT, car ils ont pris goût à observer les insectes. En fait, la tête lui tourne, ils ont fait tant de choses, elle ne se serait jamais imaginée capable de les accompagner ainsi dans leurs apprentissages. Elle a même l’impression d’avoir appris elle-même une foule de connaissances. Le papa aussi s’est immergé dans cette nouvelles vie. Tout allait bien, jusqu’à ce sale moment.

Elle savait bien, pour l’avoir lu ici et là, que certains contrôles de l’instruction se passent bien, et que d’autres, se passent mal. Mais au dernier moment, sa totale bonne foi a fait place à la peur. Et tout le pouvoir s’est retrouvé dans les mains des odieux visiteurs indésirables. Depuis ce jour sombre, les enfants ont perdu le goût d’apprendre, le père est dans une colère noire, et elle, elle se sent coupable. Coupable de quoi ?

L’instruction en famille est un mode de vie qui ne peut intégrer la peur, qui nécessite d’acquérir de solides connaissances juridiques, de l’entraide, de la force, de la volonté et la conscience de devoir se battre pour faire valoir ses droits, même en s’étant acquitté de ses devoirs. Désormais, Nadine s’angoisse des supposées lacunes des enfants, au lieu de se réjouir de leur joie de découvrir et comprendre le monde. Demain, il faudra que Nadine et sa famille contactent le service juridique d’une association non sco et qu’une procédure soit lancée. Que les enfants retournent ou non à l’école l’année prochaine, mais simplement parce que chacun doit être respecté et que leur expérience ne peut ainsi virer au désastre. D’ores et déjà, Nadine s’est promis de ne plus jamais laisser la peur l’envahir face à quiconque.
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Swapnil Sharma provenant de Pexels

Le feuilleton des mamans 1
Bérangère 1 – Entre télétravail et téléécole : le réel ras-le-bol de Bérangère

Bérangère est un condensé de vous, de vos collègues, amies, voisines. Elle a une petite trentaine, un ou deux enfants. Scolarisés. Enfin… inscrits à l’école serait plus conforme à la réalité familiale du moment. Elle a investi dans ses études comme d’autres dans la pierre. Carriériste et ambitieuse, elle compte évoluer professionnellement et obtenir les promotions qu’elle vise. Elle gagne bien sa vie et table sur de prochaines augmentations de salaire. Elle vit en couple, en accession à la propriété, dans un appartement neuf, au sein d’une résidence soignée et surveillée, en centre ville.
Un peu de tv, de radio, de magazines féminins et de réseaux sociaux suffit à son information quotidienne.

Mais depuis quelques mois, sa vie est chamboulée. Plus de trajets pour se rendre chaque jour au bureau, de discussions avec les collègues, de lèche-vitrine à la pause déjeuner. Bérangère se sent cloitrée, prisonnière, entre ses beaux quatre murs décorés comme dans une revue et ses enfants, qui ne restent plus ni à l’étude ni chez la nounou. Même son mari passe plus de la moitié de la semaine à la maison. Du jamais vu depuis qu’ils se connaissent ! Les écrans : ordinateurs, tablettes, smartphones, sont allumés en permanence. Elle, qui d’ordinaire, déteste l’exercice physique, s’est découvert une soudaine passion pour le jogging.

Pour Bérangère, le temps, c’est de l’argent. Tant qu’elle ne percevra cette période de télétravail que comme une contrainte, elle lui sera difficile à supporter et son mal-être ira en s’accentuant. Bérangère aime sa vie au bureau et sa carrière. Sans rien lâcher sur ses priorités professionnelles, elle peut optimiser son organisation de vie et ainsi éviter de foncer dans le mur, puis de s’étaler, raide, en plein burn-out.

Mais pour le moment, elle ne comprend rien à tous ces bons conseils, elle ne rêve que d’une chose : retourner au bureau !
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